La surprise

La littérature agit sur les fibres nerveuses de celui qui a la chance de vivre la rencontre entre un livre et sa propre vie. Ce sont des rendez-vous qu’on ne peut ni fixer ni recommander aux autres. La surprise face au mélange soudain de ses propres jours avec les pages d’un livre appartient à chaque lecteur.

Erri de Luca, La Parole contraire.

Un impossible exil

Jean Sur cite Fernando Pessoa. C’est d’une brûlante actualité, d’une impérieuse évidence.

J’ai l’impression de vivre, dans cette patrie informe appelée univers, sous une tyrannie politique qui, sans m’opprimer directement, offense cependant quelque principe caché de mon être. Alors descend en moi, lentement, sourdement, la nostalgie anticipée d’un impossible exil.

Voir le monde qui nous entoure

La vie intérieure est souvent stupide. Son égoïsme l’aveugle et la rend sourde; son imagination, fascinée, tisse d’ignorantes fables. Elle se dit que le vent d’ouest souffle sur elle, que les feuilles tombent à ses pieds pour des raisons bien particulières, que tous ont les yeux fixés sur elle. L’esprit risque l’ignorance totale parce qu’il veut parfois, piètre récompense, enrichir l’imagination. Ce que la raison doit faire, c’est forcer l’imagination à voir le monde qui nous entoure – ne serait-ce que de temps à autre.

Annie DILLARD, Une enfance américaine, p.36

La littérature essentielle

Si la culture, et plus spécialement la littérature, n’est jamais que le commentaire réfléchi, approché, perçant, resplendissant de la vie, ou bien elle prend acte de ce que celle-ci est entachée, entre autres choses, de répugnantes disparités ou alors elle l’oublie. Mais si elle l’oublie ou le méconnaît ou le dénie, elle ne vaut pas une minute de peine. Ou elle conserve ce que je regarde comme sa vertu essentielle, qui est révélatrice donc libératrice, et alors elle mérite que nous lui consacrions le meilleur de nos soins, de nos peines, de nos veilles. Ou elle est un divertissement, même de qualité, même agréable, auquel on sacrifie un instant avant de s’en retourner intact, inchangé, indifférent aux affaires courantes, et alors elle peut bien périr sans que je lève le petit doigt. Là est la question.

Pierre Bergounioux, Exister par deux fois, p.131-132